1967 - La Peinture de Nja Mahdaoui

Salah Garmadi

Journal l'Action, Tunis, Mercredi 18 Janveir 1967.


 

Par Salah Garmadi

 

Certaines peintures ont inspiré des oeuvres littéraires. En fait, la critique devrait être "littéraire" ou du moins un genre littéraire. L'oeuvre de Nja Mahdaoui a inspiré à Salah Garmadi les lignes qui suivent. Ce n'est pas une critique, mais un essai littéraire. La vision particulière d'un homme de lettre pour qui la peinture de Mahdaoui a été une révélation.

        L'homme, loup garou au faciès de beefteak saignant, est étonné et étonnant. Il contemple, cornu, ce combat volant et effilé de coqs multicolores, non, de poissons, non d'algues spatiales et échévelées.

        L'homme est spaghettique. C'est la mort, crâne rasé qui a tissé le coeur et l'entre-cuisses. L'oeil énuclée est blanc et sans amitié pour son frère, coeur de montre jaune et qui ne bat plus.

        L'homme est araignée à la tolle homicide. Le sexe, baleines noires d'un parasol absent, est sans soleil. L'omme a bien une tête, mais c'est Hiroshima sans amour.

        Les deux hommes auraient sans doute aimé la jeune fille momie au sexe graffitique et qui penche la tête, s'ils n'en avaient été séparés par le sang déchiré et ces eaux et ces nuages écharpés et sans murmure.

        L'homme a créé une horlogerie paralytique qui étend ses tentacules sur les mutations sanguines d'un cosmos aux aux trémolos jaunes et bruyants.

        L'homme a un cerveau. C'est une tâche éclatée rouge de honte et d'inflammation. L'homme regarde ses admirateurs à travers des montres ahuries à Sfax et marquant une heure figée qui se passe d'aiguilles. L'homme a perdu ses mains, pattes noires et éparpillées et que ses dents au tartre vert sont incapables de reconnaître.

       L'escalope bleue nage dans la "oja" rouge de ses entrailles, ce qui ne lui permet plus de marcher qu'à quatre pattes, dans des directions opposées.

       Le précipice est noir et rongé et volcanique. Entre ses deux parois choit, sans choix, un cri rond de cuivre martelé, et choit aussi un corps dont le buste, le bas-ventre et le reste ne communiquent plus entre eux que par le vide blanc de la mémoire.

        La mort est condamnée à mort. La mort s'étiole en prison, dans sa cage à bengalis, à grillons, à colibris? La mort est investie de nouilles en fils de fer repassé. Les clefs, rouille boiteuse, ne servent plus qu'à claudiquer puis à fermer. Rien n'est ouvert, même pas les jours ouvrables. Et si le crâne de cette mouette lubrique de la côte-Nord s'échappait de sa cage, les enfants prendraient-ils peur et cesseraient-ils de blasphémer ?

        Les entrailles de ces nains ont des effluves de stalagmites miteuses qui ont le coeur à gauche et fusent vers des têtes aux yeux faits de lumière asiatique et débridée. Le pendule de la pendule défie l’archet ocellé aux fibres absentes. Dans cette sombre matrice, la queue instrument sans cordes fait l'amour de travers, sous la garde explosive de deux amibes obscures et crivées et très fières de l'or de leurs franges. Est-ce un viol, une viole ou un violon ?

       Le cri est encadré. Le cri a perdu ses moustaches. Plus aucun poil de "Sayidna Ali" (1) Le cri est ici noyé dans un plat de nouilles noueuses et somnolentes. Le cri a perdu son sexe. Son sang ne lui appartient plus.

       Il pousse des agaves sur l'humanité à cornes. Les poils ne correspondent plus à la barbe et les dents ne sont dans la bouche, mais dehors, cherchant la morsure qui déchire et qui anéanti. La bouche tordue ne sait plus le Baiser. L'homme est homopotame sans fleuve et sans berges. C'est un poète asticot qui a vendu ses vers.

       Cette nage d'oiseau est un poisson qui vole. L'oiseau-poisson s'élance à la chasse de lui-même. Il se mordra la queue et celà se terminera en bec de poisson, dans un jaillissement d'arc-en-ciel bouillonnant et vengeur.

       Le cerveau de l'homme est réglé, prémonté, préfabriqué comme une horloge. Le cerveau ne peut plus se révolter. L'homme est pendu à l'aide d'une corde, comme d'habitude, mais cette corde lui sert aussi d'appareil à s'exprimer. Le cerveau ficelé, c'est l'urine qu'on libère.

       Quand le ciel se fâche, au sommet de l'organisation, il crache d'envie et vomit ses intestins. Alors l'homme disparait. Ce n'est plus que l'éclair et ces zèbres poilus de jaune. L’homme n’est plus seulement mécontent du monde comme d’habitude. C’est comme s’il n’y avait jamais figuré.