Journal l'Action, Tunis, 24 Décembre 1965, p. 3.
Un artiste qui fait de ses toiles sont journal intime :
NJA MAHDAOUI tente d'ajouter une lettre à l'alphabet de l'art
Tunis - « Les nouvelles génarations tunisiennes, écrit le professeur Averini, directeur du Centre Culturel Talien de Tunis, sont saturées de ferments, de curiosité et de possibilités artistiques.
Et c'est dans cet encourageant contexte que Nja Mahdaoui, dont on entend parler pour la première fois dans nos milieux picturaux, expose cinquante oeuvres qui n'ont pas fini de provoquer des discussions passionnées.
Le premier contact cause à vrai dire un choc. Les couleurs sont aveuglantes, provocantes, les formes hardies et sibyllines. On fait lentement connaissance avec cet étonnant ensemble, et puis on s'habitue. En fin de compte on s'efforce de comprendre l'artiste. Ce n'est pas toujours facile. mais on y parvient souvent, à force de sympathie et de bonne volonté.
Des confidences émouvantes
Nja Mahdaoui exerce un métier prosaïque et sédentaire. C'est précisément pourquoi il éprouve un vif besoin d'évasion. "Fuyant les contacts et sans ambitions prématurées" il a "fait", comme tout le monde, du figuratif, mais n'y a trouvé aucun apaisement, aucune solution à ses problèmes intérieurs. Alors il a laisse tomber ce qu'il ne considère plus que comme un exercice, pour se lancer dans la rédaction graphique et colorée d'un "Journal personnel" où il veut s'exprimer tout entier et sans voiles, et que d'ailleurs il affirme n'avoir pas eu l'intention de communiquer qui que ce fut. Mais on l'en a sollicité, et voici que ces notes intimes s'étalent spectaculairement sur les cimaises de l'avenue de Paris.
Des œuvres crues et douloureuses
"Solutions approximatives et de repli" ? "Diagrammes sémantiques ramenant implacablement à une référence médiative et fantastique" ? Voilà de bien beaux et bien grands mots, pour désigner des œuvres crues, douloureuses parfois comme une discorde musicale. Certes Nja Mahdaoui est coloriste. C'est même une de ses qualités maîtresses. Son "taureau affolé" en témoigne surabondamment. Mais, comme la écrit celui-la même qui a décidé de le faire sortir de l'ombre et de le révéler au public, "des insuffisances techniques émergent ici et là dans la production de Nja". Il est toujours hasardeux de se risquer prédire l'avenir d'un artiste surtout au seul vu de sa première manifestation. Nja ne nous paraît pas manquer de dispositions, moins encore d'un estimable feu sacré. Mais parviendra-t-il, comme il dit le souhaiter et espère le réaliser, parviendra-t-il a "ajouter une lettre à l'alphabet de l'art" ?
Nja retrace la genèse de l'homme
Quoi qu'il en soit, on ne pourra se désintéresser de cette étonnante série de 23 huiles sur papier qui retracent la génèse de l'homme depuis le chaos originaire jusqua nos plus proches "ancêtres". C'est une étude fantaisiste et séduisante de l'évolution des formes. Dans les autres oeuvres, rarement des toiles, plus souvent des compositions à la peinture industrielle on trouve de pittoresques invertions, des réminiscences totémiques. du tachisme. voire de l'abstrait. C'est enfin sous le titre contestable de "Sculptures" que Nja Mahdaoui expose cinq "compositions d'objets", qui relèvent du "Pop-Art". Ce sont cinq motifs de carrés où interviennent les matériaux les plus hétéroclites. L'unité de ces œuvres est cependant frappante : il s'agit de dénoncer l'obsession de l'homme "à travers l'espace et le temps". A travers le temps surtout, puisque ces 5 compositions évoquent à la fois des visages et des cadrans d'horloge avec des variantes insolites et lourdes de sens, Ce bric-à-brac directement importé du marché aux puces, puis astucieusement regroupé. n'est-ce pas la matérialisation d'une sorte de métempsychose des êtres inanimés ?
Le public réagit diversement devant cette exposition. L'avenir décidera de la carrière de ce jeune artiste, qui semble bien déterminé à sortir de l'ornière et à faire, coûte que coûte, du nouveau.